19 sept. 2010
L'odeur des pommes de Mark Behr ou comment l'odeur des fruits fait ressurgir les souvenirs d'enfance
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L'odeur des pommes de Mark Behr... |
L'odeur des pommes c'est d'abord l'histoire d'un lien, d'une recommandation de mon cousin d'Amérique (bon le mien vient du Canada, c'est pas loin non plus). Le genre de recommandation qui "buzz" petit à petit. Le fameux bouche à oreille qui fait qu'une personne en parle à une autre, qui lit le bouquin, et comme elle aime le bouquin, elle en parle à une autre, et ainsi de suite jusqu'à arriver à mes propres oreilles, enfin mes yeux, car la recommandation venait d'un email. Si l'on ajoute à cela que la source du buzz est reconnue pour être une spécialiste de l'Amérique et de l'Afrique et que les recommandations de mon cousin sont plutôt fiables et intéressantes, y avait pas à hésiter. Fallait juste trouver le temps et la tranquillité dont je parlais tout à l'heure. Depuis ce week-end, c'est chose faite, je viens de terminer "L'odeur des pommes".
L'odeur des pommes c'est aussi l'histoire d'un enfant, blanc, afrikaner, né en 1963 au coeur du système de l'Apartheid (période Pieter Willem Botha). Du haut de ses 10 ans, Marnus témoigne, sans en comprendre la portée ("papa m'a dit que... maman m'a dit que..."), de la vie de sa famille modèle sud-africaine, dans une maison huppée sur les hauteurs du Cap. Une famille qui exècre les communistes, l'instrument de l'enfer que représente la pop music, les drogués et les "coloured". Seulement, les années 70-80 ce sont aussi les changements auxquels va devoir faire face le régime de l'Apartheid et qui sont en train de se mettre en place progressivement en Afrique Australe (indépendance de l'Angola pour n'en citer qu'un). Aux changements politiques font écho les bouleversements qui vont toucher la famille de Marnus. L'espace d'un été, le vernis de la morale, les mensonges, les manipulations, les vices de sa famille craquent. Et le discours soi-disant égalitaire mais franchement discriminant se révèle peu à peu terrifiant aux yeux de l'enfant.
L'odeur des pommes c'est un voyage dans un passé difficile, celui de l'Afrique ségrégationniste. C'est le chemin de l'apprentissage pour un enfant qui doit se construire tout naturellement sur de mauvaises idées dans un pays où les règles élémentaires de l'éthique ont été bafouées. Comment peut-on remettre en question, à 11 ans, les idées malsaines de ses parents et d'une grande partie de la société blanche de l'époque ? L'odeur des pommes décrit comment le "ver de la haine" s'ancre insidieusement et solidement dans la tête d'un petit bonhomme, innocent à la base, et combien il est difficile de faire machine arrière. C'est une histoire d'enfant qui remonte au racine de la haine.
PS : Le livre de Mark Behr, publié en 1993, est étudié aujourd'hui dans les écoles sud-africaines.
PS2 : Cette histoire de l'enfance et de l'innocence manipulée n'est pas si éloigné du film "Le ruban blanc" de Michael Haneke. Il n'est pas si éloigné, non plus, malheureusement, du documentaire "La cité du mâle" initialement déprogrammé dans l'urgence (afin d'assurer de manière plus effective l'anonymat de certain protagonistes du film et afin d'éviter tout risque de diffamation) sur Arte et qui sera reprogrammé le mercredi 29 septembre 2010 dans la théma "Femme, pourquoi tant de haine ?". Au passage je salue l'article de Rue89 sur le sujet, non pas parce qu'il est mieux que les autres, mais parce que c'est celui qui m'a permis de toucher du doigt le sujet. Sans Rue89, je serai passé au travers de ce documentaire.
PS3 : L'odeur des pommes c'est aussi un très beau texte de Philippe Delerm. Rien à voir avec le roman de Mark Behr, quoique... : "On entre dans la cave. Tout de suite, c'est ça qui vous prend. Les pommes sont là, disposées sur des claies - des cageots renversés. On n'y pensait pas. On n'avait aucune envie de se laisser submerger par un tel vague à l'âme. Mais rien à faire. L'odeur des pommes est une déferlante. Comment avait-on pu se passer si longtemps de cette enfance âcre et sucrée ? Les fruits ratatinés doivent être délicieux, de cette fausse sécheresse où la saveur confite semble s'être insinuée dans chaque ride. Mais on n'a pas envie de les manger. Surtout ne pas transformer en goût identifiable ce pouvoir flottant de l'odeur. Dire que ça sent bon, que ça sent fort? Mais non. C'est au-delà.... Une odeur intérieure, l'odeur d'un meilleur soi. Il y a l'automne de l'école enfermé là. A l'encre violette on griffe le papier de pleins, de déliés. La pluie bat les carreaux, la soirée sera longue... Mais le parfum des pommes est plus que du passé. On pense à autrefois à cause de l'ampleur et de l'intensité, d'un souvenir de cave salpêtrée, de grenier sombre. Mais c'est à vivre là, à tenir là, debout. On a derrière soi les herbes hautes et la mouillure du verger. Devant, c'est comme un souffle chaud qui se donne dans l'ambre. L'odeur a pris tous les bruns, tous les rouges, avec un peu d'acide vert. L'odeur a distillé la douceur de la peau, son infime rugosité. Les lèvres sèches, on sait déjà que cette soif n'est pas à étancher. Rien ne se passerait à mordre une chair blanche. Il faudrait devenir octobre, terre battue, voussure de la cave, pluie, attente. L'odeur des pommes est douloureuse. C'est celle d'une vie plus forte, d'une lenteur qu'on ne mérite plus." - La première gorgée de bière, aux éditions L'arpenteur.
PS4 : Pour ceux qui veulent creuser le sujet de la littérature sud-africaine, j'ai pioché la liste suivante : Coetzee, Brink, Gordimer pour les incontournables et des petits jeunes qui prennent la relève... Ivan Vladislavic, Gillian Slovo, Achmat Dangor, Damon Galgut, Troy Blacklaws et ... Mark Behr.
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